32- A qui je parle
C’est vrai ça. A qui ?
Je n’ai pas d’amis. Par choix. Enfin disons plutôt que cela fait longtemps que j’ai compris que ce n’était pas fait pour moi. J’ai des connaissances, des camarades, mais l’amitié est une valeur que je n’ai jamais su comprendre.
Si j’avais des amis je devrais leur accorder du temps alors que du temps je n’en ai pas, les conseiller quand ils ont en besoin alors que je suis particulièrement nulle pour ça, les laisser me conseiller comme Dat ou Kev tentent souvent de le faire alors que je ne suis pas certaine d’avoir envie d’entendre l’avis d’autrui (Lisa est un cas à part, elle sait parler au bon moment).
Je pense honnêtement qu’avoir des amis empiéterait sur ma liberté.
Peut-être n’ai-je pas d’amis parce que je ne le mérite pas.
Mais voilà, quand je suis dans ce genre de périodes, où je ne suis pas triste mais que je me sens minable et épuisée, où je ne suis pas au plus mal mais en même temps pas au top, et que j’ai besoin de parler, évidemment je n’ai personne. Enfin je dis que j’ai besoin de parler, mais si on m’en donnait l’occasion, je suis sûre que je ne me confierais pas.
Il faut dire aussi qu’à l’époque où je tentais de me faire des amis, j’ai été très déçue. Je pense tout particulièrement à une "amie", qui, au sortir du lycée, et alors que je l’avais défendu (et c’est rien de le dire) quand elle avait des emmerdes au lycée, semblait ne pas entendre ni voir quand j’avais de graves soucis, et me parlait continuellement de ses problèmes existentiels, comme elle le faisait avec tous ses nouveaux amis.
Je pense aussi à toutes ces fois où j’ai été rejetée, juste parce que j’étais nouvelle, ou trop jeune, ou un peu différente ou que je venais d’ailleurs; à celles qui disaient être mes amies mais m’excluaient quand ça les arrangeait et même souvent sans raison; à ceux qui n’étaient mes amis que lorsqu’il s’agissait de faire la fête et se bourrer la gueule.
Il est vrai que j’ai mes sœurs. Bah oui, qui a besoin d’amis quand elle a des sœurs ?
Je dis déjà tout à Pomme (c’est le nom que j’ai choisi pour ma petite sœur chérie d’amour), mais elle n’est pas ici. Elle pense que mon état actuel est juste dû à un épuisement général, à cause de mes cours.
Au passage, Pomme et moi pensons qu’une des raisons pour lesquelles nous avons tant de mal à avoir des amis, c’est à cause de ce que nous avons vécu et subi plus jeunes, avec nos autres sœurs, quand nous vivions seules. Nous nous étions renfermées sur nous-mêmes, un peu par méfiance, et parce qu’on a rencontré des situations pas très cools. Et maintenant, nous sommes très fusionnelles mais du coup on a un peu de mal à s’ouvrir aux autres. Nous nous confions tout le temps à nos petites sœurs : ma grande sœur se confie à moi, je me confie à Pomme, qui se confie à Ruby, etc…
Bien sûr je parle aussi avec Marilyn (ma sœur avec qui je vis), mais je ne rentre pas trop dans les détails quand il s’agit des trucs pas très joyeux. Je crains toujours de rendre les gens tristes en évoquant mes problèmes. Quand je le fais, je m’arrange pour minimiser leur importance ou leur gravité.
Je parle avec Chéri. Il m’écoute, il me conseille, il me console.
Mais je me rends compte que si je n’étais pas avec lui je n’aurais personne pour ça. Et ça craint.
Finalement, je parle à mon portable, à mes livres, à mon ordi. Je parle à la solitude.